Rimbaud
Arthur Rimbaud
S’il existe un poète qui révolutionna la poésie, c’est bien lui, Arthur
Rimbaud. Ce surdoué qui, à 20 ans seulement, avait déjà écrit la quasi-totalité
de son oeuvre, a su imposer le génie d’établir une relation sans précédent
entre le texte et le lecteur : le langage rimbaldien. Son art langagier
continue, aujourd’hui encore, de produire un choc émotionnel intense au lecteur
de par un style stupéfiant, en accord parfait avec son créateur.
Arthur Rimbaud naît le 20 octobre 1854 à Charleville-Mézières dans les
Ardennes. Son père, Frédéric Rimbaud, est capitaine dans l’infanterie. Sa mère,
Vitalie Cuif, est fille de paysans ardennais. Le patriarche quitte très vite le
foyer familial, laissant Vitalie seule avec cinq enfants...
L’apprentissage
À 8 ans, Rimbaud est scolarisé à l'Institut privé Rossat à Charleville où il apprécie déjà beaucoup
la lecture qui, semble-t-il, lui permet de s’évader du quotidien et de
l’emprise de sa mère. En 1865, il entre au collège municipal. Il se distingue
de ses camarades en montrant de grandes facilités pour le français. Il surprend
même ses professeurs en rédigeant des poésies en latin ! Ses premiers vers
voient le jour. En juillet 1869, Arthur participe aux épreuves du concours
académique de composition latine sur le thème « Jugurtha » : il le remporte
avec aisance. La légende veut que le principal du collège ait dit de lui : Rien
d'ordinaire ne germe dans cette tête, ce sera le génie du mal ou celui du
bien... Rimbaud fait alors la connaissance de Georges Izambard, professeur de
rhétorique de sept ans son aîné. Cet enseignant lui fait découvrir Victor Hugo.
De cette époque ne restent que les premiers vers du jeune Athur : Les Étrennes
des orphelins, parus dans « La
Revue pour tous » en janvier 1870. Puis il propose trois
poèmes : Ophélie, Par les soirs bleus d’été… et Credo in unam à la revue
d’avant-garde « Le Parnasse ». Mais bien que le directeur littéraire lui
réponde, ils ne seront jamais publiés !
La soif de liberté
Alors qu’Arthur Rimbaud obtient les prix les plus prestigieux, au cours
des vacances scolaires de 1870 il s’échappe de la maison familiale, désirant se
rendre à Paris au plus vite. Voyageant sans billet, il est arrêté Gare du Nord
d’où il est envoyé en détention à la prison de Mazas ! Son ami et mentor
Georges Izambart paie sa dette. Tous deux reviennent à Charleville. Mais le
jeune rebelle ne supportant décidément plus sa mère s’évade à nouveau du carcan
familial et part à Charleroi. Il décrit d’ailleurs cette arrivée dans une
composition : Au Cabaret Vert, cinq heures du soir. Rimbaud essaie, en vain,
d’entrer comme rédacteur dans le « Journal de Charleroi ». Les gendarmes
l’arrêtent une nouvelle fois le 1er novembre 1870 pour le ramener chez lui !
L’année suivante, le siège de Paris prend fin, ce qui permet au jeune écrivain
de gagner la capitale. Il essaie de fréquenter le milieu des poètes et y croise
le caricaturiste André Gill. Dans un poème inspiré par la Commune , L'orgie
parisienne, son écriture se durcit, devient de plus en plus subversive :
Rimbaud fait un rejet des Romantiques et des Parnassiens, souhaitant
s’individualiser jusque dans le style. Il se dit maintenant « visionnaire »,
par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens...
La rencontre avec
Verlaine
Charles Bretagne met Arthur Rimbaud en contact avec son ami Paul
Verlaine en août 1871, ce qui l’incite à rejoindre leur cercle : Venez chère
grande âme, on vous appelle, on vous attend... Se sentant un homme, Arthur ne
retournera plus au lycée au grand désespoir de ses professeurs. Quelques
semaines plus tard, il reçoit un accueil chaleureux au dîner « Vilains
Bonshommes » où il fait la connaissance
des grands de son temps. Le jeune poète emménage dans la foulée chez Verlaine,
bien que détesté par son épouse. Rimbaud a tout juste 17 ans. Il écrit deux de
ces chefs-d'oeuvre : Les Premières communions et Le Bateau ivre.
Le lien
destructeur
Rapidement, certaines provocations de Rimbaud lassent ses nouveaux amis.
Verlaine n’a d’autre choix que de prendre ses distances avec son nouveau
compagnon sous peine de se retrouver seul. Arthur retourne quelque temps à
Charleville mais, se sentant à nouveau attiré par la capitale, se réinstalle à Paris
en 1872. Il y retrouve Verlaine. Ce sera le début d’une relation amoureuse
passionnée et destructrice entre les deux hommes qui partent pour l’Angleterre,
puis à Bruxelles où le drame atteint son paroxysme. Verlaine ivre, un soir de
juillet 1873, tire deux coups de révolver sur son compagnon qui menaçait de le
quitter. À la suite de ce geste violent, Verlaine est incarcéré. Arthur
Rimbaud, quant à lui, légèrement blessé à la main, rejoint la maison familiale
de Mons. C’est là qu’il écrit Une saison en enfer...
Le voyageur
Le 13 février 1873, Rimbaud part pour l’Allemagne, à Stuttgart plus
précisément, pour se rendre ensuite en Italie : il rêve maintenant d’apprendre
l’italien. Faisant escale à Milan, il est recueilli par une vielle dame qui
l’héberge un mois. Mais victime d'une grave insolation, il tombe malade et est
rapatrié à Marseille pour
être hospitalisé. Il séjourne un temps au bord de la Méditerranée ,
vivotant de menus travaux pour finir par retourner chez sa mère. Il songe alors
à étudier le piano et le solfège mais ne tenant pas en place, il décide de
repartir encore... L’Autriche d’abord qui l’expulse pour vagabondage, Bruxelles
ensuite où il s’engage dans l’armée coloniale : il signe pour six ans au sein
d’une équipe de mercenaires ! Mais, en possession de sa prime de soldat,
Rimbaud déserte et voyage sur des navires marchands en Europe. On aura du mal
d’ailleurs à suivre sa trace... jusqu’en 1877 (L’homme aux semelles de vent).
L’homme d’affaires
En mars 1880, l’écrivain arrive à Alexandrie où il trouve un travail de
surveillant dans une fabrique. Quelques semaines plus tard, il reprend la mer
pour l’Arabie : il gagne sa vie comme docker dans un port, puis en tant
qu’ouvrier trieur de café au Yemen. En 1884, il décide de créer sa propre entreprise
et fait commerce de l’ivoire. Divers échanges de marchandises lui permettent
enfin de rentrer beaucoup d’argent, chose jusque-là interdite inconsciemment
par le poète. Il rédige alors un article en critiquant vivement les affaires
françaises en Afrique. Cependant Rimbaud va mal. Il envoie une lettre à sa
famille : Je m'ennuie beaucoup, toujours ; je n'ai même jamais connu personne
qui s'ennuyât autant que moi... Malgré son état de santé fragile et son
isolement, Arthur reste en Afrique où il se lance dans le commerce des armes
également !
La maladie
En 1891, le cancer de Rimbaud se déclare. Sa tumeur au genou l’oblige à
rentrer en France. Il est débarqué à Marseille pour être amputé d’une jambe. Sa
soeur le rejoint. Son état s’aggrave, des métastases atteignent son bras. Sur
son lit de mort, il demande à être conduit à bord d’un navire pour rejoindre
l’Égypte. Il n’en aura pas le temps. Rimbaud décède le 10 novembre 1891, à
l’âge de 37 ans, dans d’atroces souffrances... Homme doué en tout, véritable
explorateur, poète de génie au talent rarement égalé, Arthur Rimbaud ne
parviendra cependant jamais à se frayer le chemin du bonheur. Mais l’a-t-il
seulement cherché un jour ?
Un poème
À la Musique
Place de la Gare, à Charleville.
Sur la place taillée en mesquines pelouses,
Square où tout est correct, les arbres et les fleurs,
Tous les bourgeois poussifs qu'étranglent les chaleurs
Portent, les jeudis soirs, leurs bêtises jalouses.
− L'orchestre militaire, au milieu du jardin,
Balance ses schakos dans la Valse des fifres :
− Autour, aux premiers rangs, parade le gandin ;
Le notaire pend à ses breloques à chiffres.
Des rentiers à lorgnons soulignent tous les couacs :
Les gros bureaux bouffis traînent leurs grosses dames
Auprès desquelles vont, officieux cornacs,
Celles dont les volants ont des airs de réclames ;
Sur les bancs verts, des clubs d'épiciers retraités
Qui tisonnent le sable avec leur canne à pomme,
Fort sérieusement discutent les traités,
Puis prisent en argent, et reprennent : "En somme !..."
Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins,
Un bourgeois à boutons clairs, bedaine flamande,
Savoure son onnaing d'où le tabac par brins
Déborde − vous savez, c'est de la contrebande ; −
Le long des gazons verts ricanent les voyous ;
Et, rendus amoureux par le chant des trombones,
Très naïfs, et fumant des roses, les pioupious
Caressent les bébés pour enjôler les bonnes...
− Moi, je suis, débraillé comme un étudiant,
Sous les marronniers verts les alertes fillettes :
Elles le savent bien ; et tournent en riant,
Vers moi, leurs yeux tout pleins de choses indiscrètes.
Je ne dis pas un mot : je regarde toujours
La chair de leurs cous blancs brodés de mèches folles :
Je suis, sous le corsage et les frêles atours,
Le dos divin après la courbe des épaules.
J'ai bientôt déniché la bottine, le bas...
− Je reconstruis les corps, brûlé de belles fièvres.
Elles me trouvent drôle et se parlent tout bas...
− Et je sens les baisers qui me viennent aux lèvres...